Traité de la Peinture, de Léonard de Vinci
1651
Giacomo Langlois, Paris
Chapter Display | |
L'air va imprimant sa teinte avec plus de force sur l'object qui le separe de l'œil, selon qu'il a plus de corps; tellement que l'air ayant éloigné de l'œil un object obscur à l'étendue de deux mille pas, il le teint plus vivement que celui de mille. Quelqu'un respondra ici, & dira que dans les paysages les arbres de même espèce se monstrent plus sombres de loin que de prés; ce qui n'est pas vrai, lors que les arbres sont égaux & épassez à même intervalle; mais bien il peut être vrai, si les premiers arbres sont tellement écartez qu'on voie au travers la clarté de prés, je dis de prés, qui les divisent, & que les plus éloignez soient plus prés à prés, comme il arrive ordinairement sur le rivage & prés des eaux, parce qu'alors on ne voit aucun espace ni la verdeur éclatante des prairies; mais tous ensemble entassez se faisant ombre l'un à l'autre: il arrive encore aux arbres que la partie qui demeure ombrée est toujours beaucoup plus grande que celle qui est éclairée, & les espèces ou apparences que l'ombre produit & envoye à l'œil se font bien voir de plus loin, joint que la couleur obscure qui domine par la quantité conserve mieux son espèce que l'autre partie qui est moins obscure; tellement qu'ainsi cet object mixte porte plus loin & plus fortement la partie e la couleur qui est plus puissante.